Comme chaque année, le Salon de l’Agriculture fait les gros titres, moins pour la qualité de l’évènement que pour les révoltes agricoles qui l’animent. Paradoxalement, ces révoltes sont souvent orchestrées par la FNSEA, ce «syndicat majoritaire majoritairement responsable de l’effroyable situation dans laquelle se trouve l’agriculture française» d’après le journaliste et critique gastronomique Périgo Légasse.
Naïvement, cet article aurait pu avoir pour titre « Amis agriculteurs, pour ne plus avoir le couteau sous la gorge, reprenez votre indépendance en vous détachant de la Grande Distribution ! ». Car à première vue, à ceux qui ont fait le jeu de la grande distribution par appât du gain, on serait tenté de leur répondre qu »on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre ».
Même si on est producteur laitier.
Alors on a cherché un super témoignage qui pourrait illustrer ce sujet. Et on l’a trouvé.
Il m’a été conseillé de rencontrer Nicolas Beaufils, jeune maraicher bio de 36 ans, dont la démarche sincèrement respectueuse de l’environnement le tient bien à l’écart des récents coups d’éclats du monde agricole.
Nous en avons profité durant l’entretien pour relayer les questions soulevées par nos internautes qui ont pu intervenir en live sur notre page Facebook.
Humble mais ouvertement contestataire, Nicolas me précise dès le début de notre entretien qu’«il n’est pas forcément constructif de fustiger le monde agricole en opposant d’un côté les bons paysans et de l’autre les méchants agriculteurs industriels car les choses ne sont pas toujours aussi simples», prenant l’exemple des cultivateurs de céréales qui reprennent l’activité familiale sans vraiment pouvoir changer la donne, pieds et mains liés par leur dépendance à la grande distribution héritée de père en fils.
Alors pas question que cet article participe à la vulgarisation du sujet en véhiculant des idées reçues. Pour autant, à contre-courant d’un monde agricole qui se dit étranglé, le témoignage de Nicolas permet d’apporter un autre éclairage au débat. Et il est loin d’être un cas isolé.
Un projet de vie
Nicolas vit avec sa femme Nathalie et ses 3 enfants à 30kms de Reims. Ils n’ont pas la TV mais ne vivent pas pour autant en autarcie puisqu’ils suivent assidûment l’actualité « re-traitée par les réseaux sociaux » sur internet, alimentent leur propre page Les Jardins de Priape, et ont même leur Youtuber/Agriculteur fétiche ! Loin du cliché de l’agriculteur reculé. Mais le choix de vie de Nicolas, c’est d’avoir pris ses distances avec les complexités et les paradoxes de la société conventionnelle : « je n’adhérais pas à cet esclavage moderne qu’on appelle le salariat».
La 2ème option, c’était d’aller vivre nu dans les bois !
Après des études de philo, Nicolas a choisi d’apprendre le métier de maraicher parce que « c’était celui qui correspondait le mieux à mes convictions et au mode de vie auquel j’aspirais». Et de préciser que « la 2ème option c’était d’aller vivre nu dans les bois, mais c’était moins envisageable ».
Avec un maigre apport personnel, il souscrit à un prêt dans une banque solidaire pour l’aider à s’installer dans sa nouvelle exploitation de 2 hectares à Chéry Chartreuve.
LIVE FACEBOOK – Par Lila C. : « Pensez-vous qu’être agriculteur bio vous met à l’abri de la crise connue par beaucoup d’agriculteurs ? »
Ce n’est pas grâce au bio mais plutôt parce qu’on travaille sur une petite surface, que l’on développe une production diversifiée, et que l’on distribue en circuit-court. De cette façon, on n’est dépendant de personne, on maitrise le prix final, on se rémunère à un prix juste, et on souffre moins des éventuelles pertes liées à une mauvaise année que dans le cas d’une monoculture. En revanche, cette démarche ne garantit ni un enrichissement, ni une sécurité. Il faut un peu de chance, de réussite, et surtout beaucoup de travail.
L’AMAP : la campagne qui vient à la ville
Il sème ses premiers plants de légumes en mars 2008 et les distribuera quelques mois plus tard dans une AMAP de la région, dont le système associatif permet une vente directe en toute simplicité : « l’AMAP c’est la campagne qui vient à la ville sans intermédiaire ». Les entrepreneurs qui nous lisent verront ici le parfait exemple d’un go-to-market réussi grâce à un parfait MVP 100% lean startup.
Nicolas se méfie des grands concepts révolutionnaires et des jargons marketing destinés à rassurer les consommateurs. S’il a fini par certifier ses légumes par le label AB qu’il avait initialement refusé, c’est surtout parce que «la certification est une sécurité aux yeux du consommateur que seule la parole du producteur ne suffit pas à garantir». Nicolas regrette que «le consommateur accorde une aussi grande importance au label AB, quand on sait ce qui se cache en réalité derrière une labelisation»
LIVE FACEBOOK – Par Christel W. :« Et la permaculture ? Est-ce utopique de penser à cette voie pour nourrir la population ? «
La permaculture est bien plus vertueuse que l’agriculture conventionnelle, mais sa mise en place est moins simple qu’on ne veut le faire croire. La Ferme du Bec Hellouin (notamment mise en avant dans le film Demain, NDLR) est moins exemplaire qu’il n’y parait, en ce sens que c’est une ferme artificielle à vocation expérimentale qui a reconstitué en 3 ans les conditions auxquelles un permaculteur ne pourrait arriver qu’en 10 ans moyennant une lourde masse salariale.
En 7 ans, son exploitation Les Jardins de Priape a suffisamment grandi pour atteindre un bon équilibre et nourrir la famille. En 2015, il distribue toutes les semaines 170 paniers de légumes dans des AMAP parisiennes et 30 dans une AMAP rémoise.
Le reste de la production part chez Sacrés Fermiers, un magasin de producteurs à Reims dont Nicolas et sa femme comptent parmi les cofondateurs. Le surplus de production est proposé chaque semaine dans 2 magasins bios de la région.
Le changement viendra des urbains
Étonnamment, c’est en zones urbaines que ses produits ont le plus de succès. D’après Nicolas « le changement de mentalité vient souvent des urbains. Ils ont le pouvoir de dicter les changements en faisant évoluer leurs modes de consommation ».
Force est de constater qu’en continuant de faire ses courses dans un supermarché, les consommateurs donnent à la grande distribution le pouvoir d’imposer ses conditions aux fournisseurs, en les contraignant à livrer des produits plus standardisés, plus calibrés, plus emballés, plus marketés, plus conservables… ce qui entraine l’utilisation d’intrants chimiques, favorise la monoculture industrielle, aggrave le gaspillage alimentaire, et multiplie le nombre d’intermédiaires avant d’arriver dans vos rayons. In fine, c’est la rémunération du producteur qui se trouve impactée. A l’inverse, si les consommateurs boycottaient les supermarchés en appelant la grande distribution à changer ses méthodes, les producteurs seraient en mesure de renverser le rapport de force.
Faire ses courses au marché est un début de solution à laquelle adhèrent de plus en plus de consommateurs. Mais à condition de faire vos achats en direct du producteur. Pourtant, inconsciemment les consommateurs privilégient souvent les stands de « revendeurs » parce qu’ils proposent une gamme de fruits et légumes plus large à des prix plus compétitifs. Evidemment, son voisin producteur biologique proposera une gamme plus restreinte car c’est la condition pour une alimentation saisonnière et locale. Et si les produits sont quelques centimes plus chers, c’est parce que produire de manière diversifiée sur une petite parcelle engendre moins « d’économie d’échelle » que les monocultures sur larges parcelles, propre à l’agriculture intensive conventionnelle.
Me faisant l’avocat du diable en évoquant la difficulté pour les consommateurs de restreindre leur alimentation à des produits saisonniers et locaux, ou de s’abonner à des paniers hebdomadaires au risque de ne pas savoir cuisiner les produits proposés, Nicolas rétorque qu’ il faut savoir ce qu’on veut ! « Si on veut bien manger, il faut soutenir ceux qui y contribuent. Si on préfère manger le plus facilement possible, on soutien automatiquement l’industrie agricole intensive et les travers qu’on lui connait ».
LIVE FACEBOOK – Par Louis-Marie G. :« Penses-tu que 100% de l’agriculture peut devenir biologique? Et selon toi, qu’est-ce qui fait que tu gagnes plus facilement ta vie qu’un agriculteur non bio ?«
Oui, ce serait possible, mais avec les dérives que ça peut engendrer. Puisque l’intérêt des consommateurs pour ce label est grandissant, les industriels et les distributeurs conventionnels commencent à adopter le bio tout en conservant leurs méthodes industrielles; d’autant que le bio industriel réalise sensiblement les mêmes rendements que l’agriculture conventionnelle. L’avantage, c’est que le Bio aura amorcé la bonne démarche en sensibilisant le consommateur.
Quant à la rémunération, certes je valorise mieux mes produits grâce à la vente directe, mais en taux horaire je ne gagne pas mieux ma vie qu’un agriculteur non bio, qui solutionne plus rapidement ses problèmes par l’usage de pesticides et autres intrants chimiques quand ce même problème me demande plus de temps en le traitant manuellement et naturellement.
Nicolas n’est pas obtu pour autant, il offre même du Nutella à sa fille pour Noël en dépit de ses principes ! Pour bien comprendre la valeur d’un tel sacrifice paternel, imaginez qu’un partisan du végétalisme offre une côte de boeuf à sa femme pour leur anniversaire de mariage.
En clôture de l’entretien, je comprends que le Supermarché Idéal de Nicolas, ce serait « un magasin de producteur 100% biologique». Nathalie, sa femme, ajoute «avec des ateliers de cuisine pour transformer sur place les aliments en confitures, sauces conserves etc ». Mais surtout, le Supermarché Idéal devra être « un magasin avec les valeurs du magasin militant, mais rendu accessible au grand public ».
On retient l’idée !